Témoignage "Ma prise de conscience sur le handicap en formation" par Charlotte Guillot

Bonjour à tous et à toutes, je suis Charlotte Guillot. Je suis ingénieure pédagogique depuis une douzaine d'années et aujourd'hui je vais te parler d'un déclic qui a fait évoluer ma posture de pédagogue. Ce n'est effectivement pas qu'un déclic mais plutôt un cheminement sur du long terme qui a démarré au moment où on a diagnostiqué plusieurs maladies auto-immunes à ma mère sans reconnaissance officielle de handicap. Cela a commencé à bouleverser son quotidien personnel mais aussi professionnel nécessitant une adaptation de poste pour aboutir à un changement professionnel total. À l'époque, je ne me rendais pas vraiment compte des efforts qu'elle a dû faire pour s'adapter. Moi, je démarrais mes études. On était en 2009 mais je me souviens que ça a été déjà un parcours du combattant pour elle pour un aménagement de poste. 

Elle travaillait dans les cuisines d'un établissement scolaire. Elle n’avait plus le droit d'être au contact à l'eau chaude, à porter des charges et déjà là, ça a été difficile pour elle à la fois d'adapter son poste. Je me souviens qu'on lui avait proposé des gants maxi pour recouvrir l'entièreté de son bras pour pas qu'elle puisse toucher l'eau chaude ou la ressentir. Et ça a été aussi difficile pour être accompagné pour que ça soit reconnu. 

Ce cheminement autour du handicap c'est poursuivi quelques années plus tard au moment où des professionnel·le·s ont commencé à s'interroger sur mon neveu et sur le fait qu'il puisse être atteint d'un trouble du spectre autistique. Là aussi ma sœur est rentrée dans une démarche assez lourde pour qu'il soit diagnostiqué et ça s'est traduit sur des rendez-vous sur plusieurs années avec des professionnel·le·s comme des orthoptistes, des orthophonistes, des psychomotricien·nes, des pédopsychatres, etc. Tout en parallèle de rentrer dans les dispositifs existants pour être accompagné·e·s, ça s'est poursuivi avec la recherche de taxis médicalisés et encore aujourd'hui des après-midi au SESSAD, des rendez-vous avec des éducateur·rice·s spécialisé·e·s. En parallèle du renouvellement des démarches administratives auprès de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) pour obtenir une reconnaissance, et c'est quelque chose d'assez fort ce chemin sur plusieurs années, parce qu'en fait on n'est pas préparé pour ça. Ça a été dur pour elle aussi de se battre pour qu'il soit scolarisé en milieu ordinaire parce que mon neveu est quelqu'un de très intelligent avec une grande mémoire. Par contre au niveau de la motricité c'est bien, mais il y a encore pas mal de choses à développer. 

Ça a donc été pour moi un rouage supplémentaire en fait dans mon cheminement. Qui s'est poursuivi dans ma précédente expérience professionnelle où là dans mon poste de responsable pédagogique, on me propose d'être référente handicap. C'était pour moi l'occasion de toucher du doigt cette thématique qui est de mieux accompagner les personnes en situation de handicap qui cherchaient à se former dans l'organisme dans lequel je travaille. Pour cela, j'ai suivi une formation de trois jours dispensée par le CRFH de Bordeaux, donc le Centre Ressources Formation Handicap en Nouvelle-Aquitaine et là, j'ai été scotchée par la complexité du parcours à mener pour une personne en situation de handicap pour accéder à la formation, parce qu’il y a beaucoup de structures, beaucoup d'instances qui communiquent entre elles qui ont chacune un rôle spécifique.

C'est très intéressant, mais c'est aussi très complexe. Heureusement que les formateur·rices qui nous ont dispensé cette formation étaient là pour nous aider à comprendre l'enjeu de tous ces organismes, de comprendre le rôle de chaque acteur·rice, etc.. Et c'est là vraiment pour moi où le cheminement s'est terminé et que le déclic a opéré. Parce qu'effectivement moi en tant qu'ingénieure pédagogique, je ne peux pas intervenir sur ses premières étapes de reconnaissance, mais plutôt une fois qu'une personne en situation de handicap nous choisit pour se former. Comment moi, en tant qu'ingénieure pédagogique, puis-je lui faciliter l'accès à cette formation ? Et c'est là où ma posture a donc évolué. J'ai beaucoup réfléchi travailler justement non pas un protocole ni même un process parce que je ne voulais pas rajouter une couche supplémentaire dans cette complexité, mais simplement, un questionnement avec des échanges que je pouvais avoir avec la personne concernée pour mieux comprendre son besoin et mieux comprendre comment je peux y répondre.

Et ça se traduit en fait par des questions toutes bêtes qui sont : “Mais pour vous, c'est quoi votre idéal pour pouvoir se former ? C'est quoi votre idéal pour pouvoir apprendre ?” 

Et c'est au fur et à mesure de ces discussions et échanges que j'ai pu avoir avec des personnes concernées que je me suis rendu compte en fait que parfois ce n'est pas grand chose. C'est une position dans la salle. C'est demander à un·e intervenant·e de parler plus fort, c'est de travailler des visuels pour qu'ils soient plus gros, c'est faire du feedback à l'oral et non pas par écrit, etc. Et c'est vrai qu'au départ je pouvais me faire une montagne d'une adaptation. Mais je me suis rendue compte qu'il y a des choses toutes simples qui pouvaient être mises en place. On les a aussi vu lors de la formation avec le CRFH par des mises en situation, on nous a mis des casques, on entendait plus rien, et c'est là où on a vu l'effort de l'intervenant·e pour parler plus fort pour essayer de nous faire comprendre et entendre. Et c'est là où effectivement, je me suis dit qu'il fallait faciliter les choses pour que l'expérience soit la même pour tou·te·s à savoir : tout aussi engageante et passionnante, handicap ou pas handicap.

Et cet accompagnement ça passe aussi par une sensibilisation auprès des formateur·rice·s avec lesquels moi j'ai pu travailler. Je leur ai proposé une session sur le handicap pour leur expliquer comment elleux pouvaient mettre en place aussi des petites choses dans leur cours. Comment aussi observer, détecter si jamais une personne qui était en situation de handicap, ne se manifestait pas auprès de nous par peur du regard des autres ? Parce que malheureusement, c'est des situations qui existent encore. Et c'est donc là où ma posture, elle a vraiment changé parce que c'est quelque chose que désormais, j'intègre dès les premiers échanges que ça soit avec les individus lors des accompagnements que je peux faire ou avec des organismes de formation sur les missions pédagogiques.

Effectivement, quand je suis à réfléchir sur un programme pédagogique ou un module de formation, c'est une composante essentielle désormais dans ma réflexion. C'est devenu un engagement du quotidien pour moi de pouvoir leur faciliter l'accès à la formation à travers ce questionnement tout simple qui est juste de la communication et de la bienveillance, mais qui fait énormément derrière pour instaurer un climat de confiance.

Alors je sais bien que derrière toutes ces adaptations simples, il y a aussi parfois des parties de financement notamment pour certains types de logiciels et matériels et c'est là aussi où la formation du CRFH, elle a été impactante parce que ça m'a permis de découvrir des acteur·rice·s de l'écosystème dont j'ignorais l'existence et qui peuvent nous accompagner et mettre à disposition ces outils là pour faciliter l'accès à la formation.

Donc ça n'a pas été un déclic immédiat, ça a été un cheminement assez long à travers l'observation de mes proches mais c'est devenu désormais pour moi un élément essentiel à toute mission pédagogique que j'intègre à chaque fois. Car effectivement ça passe par nous en fait les acteur·rice·s de la pédagogie, les acteur·rice·s de la formation d'avoir ce réflexe de questionnement et d'adaptation.