Transcription témoignage "Ma prise de conscience des limites planétaires" par Jonathan Pottiez
Témoignage "Ma prise de conscience des limites planétaires" par Jonathan Pottiez
Bonjour, je suis Jonathan Pottiez. Je travaille dans le domaine de la formation depuis plus de vingt ans, avec aujourd’hui une double activité : responsable d’une académie d’entreprise et consultant indépendant sur les sujets de l’évaluation et de l’amélioration de l’impact des formations. Je vais vous partager comment j’ai pris conscience des limites planétaires, et en quoi cela a transformé ma vision et ma pratique professionnelle.
Depuis longtemps, j’ai été sensible à la nature et à l’environnement. J’ai grandi à la campagne, dans un cadre où la nature était omniprésente. Enfant, j’aimais observer les choses, poser des questions. Je me souviens d’un détail qui m’a marqué : je voyais le fer rouiller et je me demandais, avec mes mots d’enfant : « Mais si le fer disparaît, comment fera-t-on ? Le fer ne pousse pas dans les champs… » C’était naïf, mais déjà une intuition que tout n’est pas infini. Je voyais aussi les saisons changer, les arbres perdre leurs feuilles, et je me disais que la nature avait ses cycles, mais que nos objets, eux, semblaient se dégrader sans retour. Ces petites observations m’ont accompagné longtemps, sans que je sache qu’elles allaient un jour prendre une importance énorme.
En 2004, j’ai eu une première rencontre avec ces questions. Je découvre Jean-Marc Jancovici, ses analyses sur l’énergie, le pétrole, les lois de la physique. À l’époque, je suis fasciné. Je lui écris, et il me répond. Pas juste une réponse rapide : un message long, argumenté, bienveillant. Je me souviens avoir été impressionné par sa disponibilité et la clarté de ses explications. Et puis… la vie a suivi son cours. J’ai mis le sujet de côté. J’étais pris dans mon travail, mes projets, mes ambitions. Je me disais : « Oui, c’est important, mais on verra plus tard. » Et plus tard, c’est devenu beaucoup plus urgent.
En 2017, je quitte l’entreprise où je travaillais depuis treize ans. J’ai pris du temps pour réfléchir, pour me former, pour lire. Et là, je tombe dans ce que l’on appelle un terrier de lapin : je découvre les sujets de l’effondrement, de la « collapsologie »… Je lis « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, je regarde des conférences, des vidéos… Et là, je prends conscience que nous sommes sur une trajectoire qui ne peut pas durer.
Cette prise de conscience a été brutale. Je me souviens de nuits entières sans dormir. Pendant trois ou quatre nuits, je n’ai quasiment pas fermé l’œil. Je pensais à mes enfants, à leur avenir, et je cherchais des solutions. Je me disais : « Il doit bien y avoir un moyen… » Et puis je repense à une parole de Pablo Servigne qui parle du terme anglais « predicament ». Ce n’est pas un problème, parce qu’un problème appelle une solution. C’est une situation sans solution miracle. Et là, comme le répète souvent Arthur Keller, je réalise que notre civilisation repose sur une logique simple : transformer la nature en déchets. Littéralement. Quels que soient les produits que nous fabriquons, vendons, consommons, à la fin, ils deviennent des déchets. Et les lois de la physique nous imposent des limites. Cette idée m’a bouleversé. Elle m’a fait peur, mais elle m’a aussi donné envie d’agir.
Je me suis dit : « Et moi, dans tout ça ? » Moi qui ai passé ma jeunesse devant des écrans, à démonter des ordinateurs, à les remonter… Moi qui ai cru au progrès technologique comme solution à tout… Je réalise que la technologie ne peut pas tout résoudre. Et, surtout, qu’elle ne peut pas abolir les lois de la physique. Et je me suis posé une question : « Est-ce que je veux vraiment d’un monde où notre projet collectif est de transformer la nature en déchets ? » Non. Ce n’est pas désirable. Et pourtant, c’est ce que nous faisons.
Alors, qu’est-ce que je peux faire ? Je n’ai pas tout plaqué. Je n’ai pas quitté mon métier. Parce qu’il faut bien vivre, il faut bien manger. Et parce que je pense que l’on est encore loin d’une prise de conscience collective. Mais j’ai décidé d’agir, à mon échelle. Dans mon métier, j’ai toujours travaillé sur l’efficacité et l’efficience des formations. Aujourd’hui, j’ajoute une dimension essentielle : la sobriété. Pas seulement l’écoconception, mais j’adopte une conception plus radicale en considérant que la formation la plus écologique, c’est celle que l’on ne fait pas si elle est inutile. Ça peut paraître provocateur, mais c’est vrai. Chaque formation mobilise des ressources : du temps, de l’énergie, des outils numériques, parfois des déplacements. Si elle n’apporte pas de valeur, elle a un coût environnemental inutile.
Je me revendique minimaliste. Dans ma vie personnelle, j’ai réduit ma consommation à l’essentiel. Je privilégie la qualité à la quantité. Et dans mon travail, j’essaie de faire passer ce message : avant de concevoir une formation, posons-nous la question de son utilité réelle. Je m’intéresse ainsi à des pratiques plus sobres, à des modèles qui respectent davantage les limites physiques. Cette réflexion me nourrit intellectuellement, mais aussi humainement. Elle me donne un cap.
Je ne vais pas vous mentir : ce n’est pas facile. Parfois, on se sent impuissant. On voit les accélérations technologiques, on entend parler d’intelligence artificielle, de métavers, et on se dit : « Mais où va-t-on ? » Et en même temps, on sait que les ressources se raréfient. Alors, s’informer, c’est bien. Mais agir, c’est vital. Sinon, on peut devenir fou. On peut se sentir dépossédé. Alors, chacune et chacun à notre échelle, réfléchissons à ce que nous pouvons changer. Personnellement et professionnellement. Parce que la formation, la pédagogie, ce sont des leviers puissants. Elles peuvent aider à faire évoluer les mentalités, à préparer un monde plus sobre.
Je n’ai pas de solution miracle. Mais j’ai une conviction : il faut commencer maintenant. Il faut accepter que ce monde ne peut pas continuer comme avant. Et il faut imaginer le monde d’après. Un monde où l’éducation et la formation ne sont pas seulement des outils pour s’adapter au marché, mais des outils pour construire cette société plus durable. C’est ce qui me motive aujourd’hui. Et c’est ce que j’essaie de partager, dans mon travail, dans mes échanges, dans mes choix.